Apothéose des grands hommes qui se sont distingués dans la géologie et la minéralogie.
Fresque peinte en 1855 au plafond de l'escalier monumental de l'école nationale des mines de Paris (Hôtel de Vendôme)
Parmi ces visionnaires, notre célèbre géologue dauphinois, Dolomieu, qui a laissé son nom au minéral dolomite, à la roche dolomie et au massif des Dolomites.
Il n'y a pas que la grande Histoire. Les histoires des sciences et en particulier de la géologie sont tout aussi passionnantes. On y comprend l'évolution des idées, on y rencontre des savants visionnaires, souvent trop en avance sur des conservateurs confortablement installés.
Nous allons reprendre quelques points de cette histoire afin de mieux comprendre l'état actuel de nos connaissances.
Avant le XVIIe siècle la Genèse est la seule référence géologique. En 1654, un évêque irlandais James Ussher calcule l'âge de la Terre en additionnant l'âge des protagonistes de la Bible, génération après génération, il donne la date de naissance de la Terre : le 23 octobre 4004 avant JC.
En 1775 Buffon fait des essais sur le refroidissement de différentes sphères portées au rouge et extrapole à la Terre, en supposant que la Terre était au début une boule de feu qui s'est refroidie au cours des temps, il conclut que la Terre va sur ses 75 000 ans. En réalité ses calculs lui donnaient un âge beaucoup plus fort de l'ordre du million d'années mais il n'a pas osé donner un chiffre aussi fort craignant des représailles de la part de prêtres intégristes. « Plus nous étendrons le temps et plus nous approcherons de la réalité. Néanmoins il faut le raccourcir autant qu'il est possible pour se conformer à la puissance limitée de notre intelligence. »
En 1830, suite aux travaux des géologues qui définissent les ères géologiques et leurs subdivisions en époques et en étages par l'étude des terrains et des fossiles on admet qu'il a fallu au moins 2 à 300 millions d'années pour aboutir à toute la diversité des espèces et des terrains.
En 1862 un illustre physicien anglais, Lord Kelvin qui fait autorité, calcule le temps de refroidissement de la Terre d'une façon différente de Buffon et il soutient que ce temps est entre 98 et 200 Ma. D'où une polémique avec les géologues et les paléontologues.
En 1896 Becquerel découvre la radioactivité et en 1906 on admet que la chaleur interne de la Terre provient de la radioactivité des roches et la théorie de Kelvin tombe à l'eau.
On dispose avec la radioactivité d'un bon moyen de datation, la situation va s'accélérer : en 1906 on arrive à 500 Ma, en 1915 à 1 600 Ma et les astronomes annoncent en 1955 que la Terre a 4,5 milliards d'années.
Nicolas Sténon 1638 - 1686
Chirurgien, géologue. Protestant il se convertira à la religion catholique et il finira sa vie en évêque.
Portrait fait un peu avant sa mort.
On admet qu'un des premiers géologues a été Nicolas Sténon (Niels Steensen, 1638 - 1686). C'était un célèbre chirurgien danois, qui lorsqu'il était dans le cercle des scientifiques à la cour des Médicis faisait des promenades dans la Toscane en observant les affleurements rocheux. C'est lui qui a introduit les notions de strates et de sédiments dans son ouvrage qu'il publie en 1669 "Prodrome d'une dissertation sur le solide naturellement contenu dans le solide ". Les deux principes de base de la stratigraphie portent son nom :
- les couches sédimentaires se sont déposées à l'horizontale
- les couches se sont superposées les unes sur les autres, ce qui implique que celle qui est en dessous d'une autre est plus vieille que cette dernière.
Il ne remet pas en cause l'âge et la conception biblique de la Terre.
Avant le XVIIIe siècle on ne va pas dans la montagne, c'est un lieu satanique, les montagnes ne sont pas cartographiées avec exactitude et leur altitude est à peine évaluée.
A partir de 1740, rapide changement de perception, la "montagne maudite" devient le "Mont blanc", les premiers touristes anglais arrivent avides de beauté sauvage, Chamonix devient à la mode. Horace-Bénédict de Saussure, scientifique de Genève, va consacrer une partie de sa vie à la vallée de Chamonix qu'il va parcourir à de nombreuses reprises, il montera au sommet du Mont blanc en 1787, un an après la première ascension, avec le guide Jacques Balmat et de nombreux porteurs chargés de ses instruments scientifiques. C'est lui qui a vulgarisé le mot géologie.
Déodat de Dolomieu (1750 - 1801), plus minéralogiste que tectonicien, a aussi joué un grand rôle dans les débuts de l'étude des Alpes.
De Saussure et Dolomieu ont dit qu'il était nécessaire d'avoir déplacement pour expliquer les plissements.
Plusieurs scientifiques ont été intrigués par l'aspect complémentaire des côtes de l'Afrique et de l'Amérique du Sud. En 1912, un météorologue allemand Alfred Wegener (1880 - 1930) se sert de cette observation et de plusieurs autres arguments pour émettre la thèse de "La dérive des continents".
Cette idée, qui donnait un degré de liberté important peut-être utile pour expliquer des phénomènes géologiques toujours mystérieux, aurait dû au minimum susciter une envie de lancer des études pour la valider ou la réfuter en connaissance de cause. Au contraire, les géologues, perdant leur sens scientifique, rejettent d'office cette interprétation qui ne vient pas de l'un de leur communauté. On peut lire certaines de leurs déclarations très rétrogrades et souvent injurieuses vis à vis de Wegener.
Pendant 50 ans la quasi-totalité des facultés vont travailler dans des directions qui se révèlent des impasses : extension de la terre ou inversement contraction comme une pomme créant des creux et des bosses ; les ponts à travers les océans pour expliquer la continuité des roches ; les géotumeurs pour expliquer les montagnes...
Heureusement quelques géologues plus visionnaires se retrouvent en accord avec Wegener : Emile Argand, créateur de mot mobilisme, admet que l'ensemble des chaînes qui s'étendent des Alpes occidentales à l'Himalaya provient du mouvement de dérive du continent du Gondwana sur l'Eurasie ; Alexandre Dutoit démontre la continuité des structures géologiques de part et d'autre de l'Atlantique. Arthur Holmes découvre la convection qui pourrait être un moteur ;
Graham et Hales apportent le paléomagnétisme qui montre que les continents se sont déplacés. Dans les années soixante la situation s'accélère mais sans convaincre tous les conservateurs : Harry Hess parle de l'Expansion du fond océanique, Jason Morgan déclare que la Terre est formée de plaques rigides qui se déplacent les unes par rapport aux autres.
Enfin, après quelques décennies perdues, la controverse se termine du fait que l'expédition franco-américaine FAMOUS de 1971 à 1973 a vu et touché le volcanisme du rift médio-atlantique avec l'aide des bathyscaphes.
C'est l'avènement de la "Tectonique des plaques" qui rajeunit brutalement la géologie et progresse à grands pas, on trouve des explications logiques à ce qui étaient des mystères auparavant. On appréhende enfin le fonctionnement de la Terre.
Tout comme les autres facultés, celle de géologie de Grenoble rejette les vues de Wegener. Un des principaux sujets d'étude est la géologie des Alpes, le "mobilisme" proposé par E. Argand est lui aussi rejeté malgré son intérêt pour expliquer des mouvements horizontaux :
Cette théorie aurait dû avoir beaucoup de succès [...] Or, dans le milieu alpin, que ce soit en Suisse ou à Grenoble, cette brillante théorie n'eut guère d'échos, y compris chez Termier et à plus forte raison chez Kilian qui refusait les hypothèses trop aventureuses, préférant s'en tenir aux strictes données de terrain. Les nappes étaient admises, mais l'on ne se posait guère de questions sur les raisons du mécanisme à l'origine du raccourcissement.
Jacques Debelmas, référence en bas de page.
On préfère, plus tard, tel Maurice Gignoux, essayer de trouver les causes d'un "mobilisme superficiel". Pour cela il extrapolera la théorie, un peu fumeuse, des géotumeurs, ce qui lui vaudra une médaille prestigieuse avant que l'on invalide cette théorie.
Un gros travail d'observations et d'études de terrains est fait : études des formations, coupes, levers pour les cartes géologiques... les synthèses sont difficiles.
La Tectonique des plaques s'impose, la Terre vivante et mobile est adoptée par tous :
Le renouvellement de 1976 [du Laboratoire de Géologie Alpine] fut marqué par une réorganisation plus importante [...] La plus importante resta celle de la géodynamique alpine qui regroupa l'essentiel des anciennes équipes. Elle était due à l'émergence du nouveau concept de « tectonique des plaques » qui conduisit à une nouvelle interprétation de la chaîne alpine.
Hubert Arnaud, référence en bas de page.
Les progrès sont rapides, marqués par des moments forts : en 1979, Jean-Claude Barféty et Maurice Gidon voient dans la faille du col d'Ornon un bel exemple du tout récent concept des blocs basculés. On peut commencer à écrire une histoire des Alpes cohérente et dans un large consensus. Des études actuelles apportent des réponses sur l'évolution des altitudes et du relief des Alpes.
Les géologues se sont toujours intéressés à notre secteur qu'ils dénommaient "Le Dôme de La Mure" du fait que le socle hercynien sort en surface (Pierre-Châtel, les Signaraux) et plonge rapidement en direction du sud. Les premiers sont les minéralogistes : Jean-Etienne Guettard publie en 1779 Mémoires sur la minéralogie du Dauphiné.
A un endroit appelé Prunières, près la Mure, est un petit filon de mine, rendant depuis 25 jusqu'à 30 livres de cuivre par quintal de mine : on y a trouvé jusqu'à 12 onces d'argent par quintal de cuivre.
A l'endroit appelé Prunières, près de la Mure, on a trouvé une mine de cinabre et de mercure coulant ; on a en y travaillant crevé un ancien travail qu'on attribue aux Romains : l'on n'a pas pu voir le fond de la galerie, attendu qu'il aurait fallu emporter les terres que les eaux y ont apportées : il est à présumer que cette galerie conduit au grand filon.
Les recherches sur les ressources minérales sont poursuivies par Emile Gueymard (né à Corps) qui publie en 1831 Sur la Minéralogie, la Géologie, et la Métallurgie du département de l'Isère.
Charles Lory, un des créateurs de la géologie alpine consacre de nombreuses pages à la Matheysine dans sa Description géologique du Dauphiné publiée en 1858, le Trias n'est pas encore défini et la dolomie et le gypse sont attribués au Lias et sont expliqués par l'altération des premières couches de calcaire. Lory n'est pas d'accord avec cette explication, pour lui, et l'histoire lui donnera raison, ce sont des roches qui se sont déposées.
Plusieurs thèses concernent la Matheysine, nous en citons plusieurs en bas de page qui sont consultables sur internet mais les travaux exposés datent en général d'avant la révolution géologique, on peut retenir les observations, les explications des phénomènes sont aujourd'hui souvent bien étonnantes.
Un gros travail de relevés pour réaliser les cartes géologiques a été fait. La Matheysine est à cheval sur quatre cartes :
- La Chapelle en Vercors, 1967
- La Mure, 1989 (tracés de 1946 à 1982)
- Vizille, 1972 (tracés de 1955 à 1968)
- Vif
Il est dommage qu'elles n'aient pas bénéficié d'une révision récente.
Avant de voir la littérature locale on peut remarquer que Elysée Reclus écrit quelques lignes pas très flatteuses sur la Matheysine dans le deuxième volume consacré à la France de la Nouvelle Géographie Universelle (1885) :
A l'ouest d'un isthme étroit de roches granitiques rattachant le groupe du Pelvoux aux monts du Graisivaudan, un petit plateau percé de monts cristallins s'avance en promontoire au sud de la plaine de Grenoble, entre le Drac et la Romanche, et porte dans ses cavités quelques lacs, mornes et froids, qui ont remplacé les glaciers d'une époque antérieure : c'est le plateau de la Matheysine ; de formidables gorges, où les chemins descendent en tournants rapides comme dans un gouffre, l'entourent de toutes parts.
Dans presque tous les livres écrits le siècle dernier sur l'histoire de la Mure ou de la Matheysine il y a quelques pages consacrées à la géologie.
Le livre de l'Abbé Dussert, « La Mure et son mandement », est paru en 1903 à l'époque où la Terre avait 25 000 à 90 000 ans pour les physiciens et 100 000 à 200 000 ans pour les géologues :
Si l'on est saisi d'une admiration mêlée d'effroi quand on cherche à se représenter par l'imagination les différents actes de la tragédie minérale, dont le résultat a été la formation de ce qu'on peut appeler l'ossature de notre plateau [...] Le cours du Drac et de la Bonne est formé par une série d'évasements et de rétrécissements, de bassins successifs, communiquant entre eux par des gorges étroites ; preuve évidente que c'était primitivement, lorsque les vapeurs se condensèrent sur notre globe, une série de lacs étagés, qui se déversaient les uns dans les autres par des cataractes.
Une bande dessinée sur 2 pages dans l'édition de 1925 de Léon Caillet Le Tabor vous raconte son passé, montre un Tabor éternel :
Pendant l'ère archéenne, ma surface était toute nue, sans terre arable ; aucun être ne vivait sur moi. Je menais une existence monotone sous une atmosphère brûlante.
On ne peut donner l'excuse de l'époque pour justifier la somme d'erreurs que comportent ces dessins qui sont repris dans l'édition de 1960 ! Sténon n'y retrouve pas ses principes de la stratigraphie !
Le livre de Victor Miard est édité en 1965, les astrophysiciens ont déterminé en 1955 l'âge de la Terre, 4 milliards et demi d'années.
Dans le premier chapitre géologique on explique la présence du bassin carbonifère :
Il y a quelque trois cents millions d'années, à l'emplacement du plateau de la Matheysine se trouvait un très vaste lac, large d'une vingtaine de kilomètres, qui s'étendait, au nord, jusque dans le massif du Mont-blanc, et, au sud, croit-on, jusqu'à Digne.
Nous allons voir que la réalité est bien différente et beaucoup plus dynamique !
Pour en savoir plus
L'histoire de la géologie :
- Deparis V., Legros H., Poirier J.-P., Voyage à l'intérieur de la Terre, CNRS Editions, 2000
- Gohau G. Une histoire de la géologie, Poche, 1990.
- Alan Cutler, La montagne et le coquillage, JC Lattès, 2006. Une biographie de Nicolas Sténon, un génie dont les restes reposent dans la basilique San Lorenzo à Florence.
De la "Dérive des continents' à la à la "Tectonique des plaques" :
- Vincent Deparis, Pierre Thomas La "Dérive des continents" de Wegener
- Conférence UIAD-Matheysine, 2006, De la "Dérive des continents" à la "Tectonique des plaques"
Présentation PPS -
Texte
La faculté de géologie de Grenoble :
- Jacques Debelmas, 150 ans de géologie alpine à l'Université de Grenoble (1850-2000)
- Hubert Arnaud, Histoire de la géologie grenobloise, 1824 -1999, Association Dolomieu, 2008. Contrairement à l'article précédent
ce n'est pas une histoire de la géologie, peu de chose sur l'évolution des idées, pas de mention de Wegener, rien sur la controverse fixistes contre mobilistes. C'est une chronique consensuelle concernant les géologues grenoblois.
Thèses concernant la Matheysine :
Avant la tectonique des plaques :
- 1961, J. Sarrot, Étude géologique de la couverture mésozoïque du dôme de la Mure
- 1968, J. Aprahamian, Etude géologique des montagnes du Beaumont et de La Salette
- 1973, R. Aumaître et G. Buffet, Minéralogie, pétrographie et géochimie des laves spilitiques
- 1978, G. Monjuvent, Le Drac, morphologie, stratigraphie et chronologie quaternaires d'un bassin alpin
- 1979, B. Delaquaize, Etude géologique, hydrogéologique et limnologique [...] le bassin versant des lacs de Laffrey et Petichet
- 1981, G. Buffet, Variabilité des caractères spilitiques et magmatiques du volcanisme alcalin triasique du massif des Ecrins-Pelvoux
- 1981, P. Baron, Le Trias et le Lias inferieur de la bordure occidentale du Massif du Pelvoux
- 1982, G. Adline, Les spilites potassiques triasiques de la bordure occidentale du massif des Ecrins Pelvoux
Après la tectonique des plaques :
- 1985, T. Bas, Caractéristiques du rifting liasique [...]le haut-fond de la Mure et le bassin du Beaumont
- 1985, J.-C. Barféty, Le Jurassique dauphinois entre Durance et Rhône