Ces 25 ans d'histoire muroise s'inscrivent dans une histoire nationale très riche et bouillonnante, nous sommes dans cette
fin du 19e siècle dans une période de bouleversement important dans tous les domaines :
- La science fait des progrès rapides avec des découvertes fondamentales et des inventions qui vont modifier rapidement
la vie de tout le monde : installation du réseau ferroviaire, le moteur à explosion et la voiture automobile, l'aviation,
le transport de l'électricité, la métallurgie de l'aluminium, les rayons X, la radioactivité, la radio, le cinéma,
le téléphone...
- L'industrie se développe, l'exode rural s'amplifie, création de syndicats d'où les grèves pour l'amélioration
des conditions de travail ; le social s'insère dans les partis politiques : fédération des socialismes en 1905
en la « SFIO » (section française de l'internationale ouvrière), la tendance encore plus à gauche, les communistes
formeront en 1920 leur propre parti.
Cléricalisme = tentative, pour les clercs, d'exercer sur la société civile une influence ou un pouvoir
en vertu de leur ministère.
Anticléricalisme = ramener l'influence de la religion et du clergé dans les bornes qui doivent en délimiter
le domaine.
L'anticléricalisme, qui ne combat que le cléricalisme, se définit uniquement par opposition et par
référence à lui.
Le mot "anticlérical" apparaît dans le Littré en 1877.
Pendant les premières années de la troisième République, la question des rapports entre l'Eglise
et l'Etat prend une tournure conflictuelle. Elle oppose la gauche qui souhaite que l'on s'affranchisse
du cléricalisme et la droite qui ne conçoit la France que comme fille aînée de l'Eglise.
Des lois qui limitent le pouvoir du spirituel sont votées :
- 1880 : suppression de l'obligation du repos dominical (plus de « jour du seigneur »)
- 1884 : loi sur le divorce, il est rétabli après avoir été supprimé en 1816 pour incompatibilité
avec le catholicisme.
- 1887 : libertés des funérailles, elles ne sont plus obligées d'être religieuses, les cimetières
ne sont plus lieux d'église. Nous en reparlerons car ce sera le point de départ, à La Mure, de l'affaire
« des robes blanches ».
C'est surtout, entre 1879 et 1886, la laïcisation de l'enseignement qui alimente les conflits :
- Août 1879 : loi Paul Bert sur les écoles normales supérieures.
- Décembre 1880, loi Camille Sée sur la création de lycées et collèges de jeunes filles. Son enseignement
est appelé à être dispensé par des femmes, la réforme nécessite la création d'une école normale
supérieure de filles.
- Juin 1881 : écoles gratuites.
- Janvier 1882 : enseignement obligatoire et laïque.
De 1896 à 1906, une deuxième crise qui correspond à la séparation des Eglises et de l'Etat sur
fond d'affaire Dreyfus, le clergé et la presse catholique étant aux côtés des nationalistes
anti-dreyfusards.
En Isère, l'ambiance est à l'image du reste du pays, le moment le plus agité aura lieu plus tard
lors de l'expulsion des Chartreux en 1903.
C'est dans les années 1880 que la question scolaire crée l'affrontement entre les républicains et
l'Eglise catholique. L'enseignement public est sous le contrôle du clergé (cours de religion,
crucifix dans les salles de classe). Une partie du personnel appartient aux congrégations religieuses.
Celles-ci tiennent dans le département 53 écoles de garçons sur 575 et 226 écoles de filles sur 473.
En 1871, la commission municipale de Grenoble décide de voter la laïcisation des écoles tenues par des congrégations mais il
faudra attendre 1877 pour en voir le début du fait de l'opposition du préfet, de la recherche de locaux
et aussi du combat mené par l'évêque de Grenoble, Monseigneur Fava.
Lorsqu'en 1882 la ville de Grenoble procède à la création d'un lycée de filles, l'hebdomadaire
officiel du diocèse grenoblois réagit vigoureusement en publiant
deux articles dans la semaine
religieuse du diocèse de Grenoble qui soulignent les risques de confier
des adolescentes à une école « athée ». Ces filles qui suivent les mêmes cours que les garçons
perdent leur morale, glissent vers la dépravation, la violence politique ou pire encore ne se
distinguent plus du genre masculin. Les catholiques craignent que l'égalité accordée aux filles
ne sape la structure familiale traditionnelle fondée sur l'obéissance de la femme à l'égard de
son mari.
A La Mure, que se passe-t'il en 1880 ?
Ce sont les notables bien-pensants qui sont au conseil municipal et le maire est encore désigné
par le pouvoir. Le mot d'ordre semble être d'en faire le moins possible pour dépenser le minimum.
La situation économique est très mauvaise et la ville dans un triste état. Depuis plus de 30 ans c'est le
même secrétaire de mairie « véritable Maire du Palais »
qui gère les affaires courantes et qui voit défiler les maires.
Le 15 août 1880, une pétition est donnée au Maire avec quatre pages de
signatures, elle demande de mettre fin au passage des clochettes appelant les fidèles à la messe,
tous les matins, ceci « froissant la conscience de tous les citoyens professant des idées contraires ».
En conclusion, on demande un peu plus : « En outre ils vous verraient avec plaisir Monsieur le Maire,
prendre pareille décision relativement aux processions ». Cette pétition va être partiellement
entendue puisque le 30 septembre 1881, le maire, Felix-Ferdinand Pelloux prend un arrêté
municipal : Défense de parcourir les rues de la ville en agitant des sonnettes mais ne prend pas
de décision sur les processions qui à Grenoble, Vienne, Voiron... sont en cours de suppression.
L'empiètement de l'Eglise sur la cité
(ce qui définit le cléricalisme) semble bien faire débat comme partout ailleurs. Mais les
« républicains » murois n'ont pas encore de leader.
Les descriptions que l'on peut lire de la Mure en 1886 sont pittoresques, en plein dans les
idées reçues que l'on se fait du moyen-âge. Un avocat de la cour d'appel de Grenoble écrit en 1892 :
"La Mure présentait encore un aspect qui était loin d'être brillant, de chaque coté de rues étroites,
mal entretenues, sans écoulement, servant de lieux d'aisance à la plupart des habitations,
véritables cloaques malsains dont les émanations ont souvent attiré sur La Mure de terribles
épidémies, de chaque coté de ces rues se trouvent de petites maisons, construites d'une façon
primitive et auxquelles se communiquaient facilement l'insalubrité de la voie publique.
Les écoles, l'Hôtel de Ville (peut-on donner ce nom à la masure dans laquelle siégeait la
Municipalité ?), la justice de Paix étaient dans un état de délabrement complet (l'insalubrité des écoles
était telle que les parents devaient en éloigner les enfants pour sauvegarder leur santé). Les eaux
que buvaient les ouvriers du quartier nord de la ville n'étaient pas potables.
Tout ce que nous venons d'indiquer préoccupait peu les membres du conseil municipal qu'avait alors
La Mure ; ils étaient riches et pouvaient avec leur ressources se procurer le bien-être refusé
à la plupart de leurs administrés. "
La photo ci-contre, transmise par Jean-Claude Darier, une des plus anciennes que nous connaissions, illustre
bien ces propos. On y voit la rue Bayard avant la construction de l'école Pérouzat.
En premier plan le tas de fumier (ce sera l'objet du premier arrêté municipal de Chion-Ducollet).
La rue Bayard qui semble pavée, en dos d'âne, avec les rigoles de chaque coté, bien encombrées.
Le magasin Béthoux, chaussures et cuir (crépin) avant 1888, date de la construction de
l'école Pérouzat. Ce sera ensuite le magasin de la famille Darier.
Un grand merci à Jean-Claude Darier pour cette photo, rare témoignage de cette époque.
Une intéressante description de La Mure avant Chion-Ducollet dans le livre de Louise Drevet : En Matheysine - Les filleules de M de Mailles, 1894.
Voir le premier chapitre du conte dans la série des Nouvelles et Légendes Dauphinoises.
La rue du Moulin doit être la rue du Bonrepos (depuis 1863), en pente de la rue du Nord à la Jonche, du nom de la famille qui avait repris le moulin de Bon_repos au bord de la rivière.