François-Romain-Joseph Tagnard est né à Cognet le 29 janvier 1843 dans une vieille famille matheysine.
En 1864 il est officier de santé dans la marine. Reçu docteur en médecine en 1872, il s'installe à La Mure,
en succédant à son grand-oncle le docteur Charles-Romain Telmat, maire de la commune de 1848 à 1851.
Comme premier adjoint, il fait fonction de maire de novembre 1875 à mars 1877, puis de janvier à février 1881,
avant d'être le premier maire élu en 1882 comme on l'a vu précédemment.
L'histoire en a fait un "saint homme", médecin admirable de dévouement et d'abnégation, soignant les pauvres
non seulement gratuitement mais en laissant parfois une pièce ce qui lui valut d'être appelé "le médecin
des pauvres". (Il est étonnant que la mise au point de Chion-Ducollet, donnée ci-dessous, à savoir que médecin des pauvres
n'était pas un sacerdoce mais une fonction bien rétribuée n'ai pas été prise en compte dans
les écrits locaux.)
Son positionnement politique pose question : homme modeste, tourné vers les pauvres, sans patrimoine, il devient la figure
de proue de la classe possédante au pouvoir. Les notables, bien-pensants, ne font pas grand chose pour améliorer
le sort des murois et, en ce début de troisième république, ils sont à fond du côté du clergé qui veut conserver ses privilèges.
André Tagnard ne semble pas être très à droite, il est républicain et n'est pas du premier cercle des fidèles de
l'abbé Morel.
Le monument du docteur Tagnard
au cimetière de La Mure
Il est bien difficile d'attribuer à Romain Tagnard, dans ses fonctions de premier magistrat de 1882 à 84 et de conseiller général, de 87 à 95, une réalisation marquante. Il ne se révèle pas meneur d'hommes et ce qui est étonnant c'est son refus d'accepter de nouveau la charge de maire en 1884 sans donner de raison, peut-être a-t-il eu conscience de ses limites. Ensuite, il contribue à la déconfiture du conseil municipal en rejoignant le groupe minoritaire qui prépare l'arrivée de Chion-Ducollet. Cette attitude pose question car il a combattu et combattra ensuite le programme ambitieux proposé. En participant à la liste des municipales de 1886 il participe à l'intronisation et à la longue présence de Chion-Ducollet. Au cours des premiers conseils il vote comme les autres conseillers toutes les propositions de Chion-Ducollet. Il va rapidement le quitter et rejoindre ses anciens alliés dans l'opposition, en décembre 1887 il bat Chion-Ducollet aux élections cantonales et ne participera plus aux conseils municipaux.
Chion-Ducollet ne s'est pas gêné, à chaque occasion, de mettre en avant l'inactivité du docteur Tagnard : "
Pendant ses deux années de Mairie M. Tagnard n'a fait aucune amélioration dans la Ville, aucun acte pour
réprimer le gaspillage scandaleux qui se faisait des deniers communaux." En plus il met en avant deux gros reproches :
- Ne pas avoir profité des avantages offerts par le gouvernement en 1883 pour la construction des écoles, Il évalue à
100 000 francs la somme perdue.
- De ne pas avoir eu d'aide dans son combat contre l'administration pour réduire les "contingents de vicinalité" c'est à dire la part payée pour la construction de nouvelles routes.
Au contraire, le docteur Tagnard, conseiller général, prend le parti de l'administration même s'il semble plutôt d'accord :
"Cette assertion, quoique très exagérée, repose sur une donnée exacte, je le reconnais volontiers ; il est vrai que
la Mure a été appelée à subventionner les routes ci-dessus incriminées, mais à qui s'en prendre, en bonne justice,
sinon à l'Administration départementale qui fit la répartition des contingents, et aux représentants de notre canton qui
l'acceptèrent."
Chion-Ducollet, tenace et bon avocat de ses arguments,
après une longue bataille obtiendra satisfaction.
Juste avant les élections
de 1892, le docteur Tagnard publie un bulletin de 24 pages Les six années d'administration du
M. Chion-Ducollet, Particularités Financières., il ne ménage pas le maire :
En résumé, sous la bruyante administration de M. Chion-Ducollet, le pays s'est appauvri, l'ouvrier est resté sans travail, l'indigent sans secours. Quant aux finances communales, elles sont en pleine déroute.
En revanche, de somptueux édifices se sont élevés,restant vides, comme le collège (35 élèves au lieu des 120 d'autrefois !) ou bien nous réservant la désagréable surprise de ruineux imprévus comme notre colossal hôtel de ville.
Un si piteux résultat valait-il bien qu'on supportât si longtemps le joug tyrannique que M. Chion-Ducollet a imposé aux Murois ? Etait-ce bien la peine de subir si patiemment ses tracasseries incessantes, ses méchancetés sans nom, ses implacables rancunes ?
Si les honnêtes gens sont las d'aller implorer à genoux la clémence de ce despote, quand il les menace, à propos de tout et de rien, de la cour d'assises, de la police correctionnelle et de procès verbaux scandaleux.
S'ils ont compris qu'il ne fut, par surcroit, qu'un médiocre administrateur plein d'orgueil et de vanité, mais sans esprit d'économie, sans sagesse, sans prévoyance, ils le déclareront le 1er mai en rayant son nom sur des bulletins de vote.
En 1892, la campagne électorale est très dure, l'opposition sent la victoire possible et présente une
liste complète du "Comité Républicain Démocratique" menée par le docteur Tagnard.
La profession de foi de l'opposition est plutôt injurieuse
: "La ville et le canton de La Mure sont malheureusement depuis peu d'années la proie de dissentions
suscitées par une individualité étrangère, aux précédents suspects, qui, par des
agissements où le mensonge, les insinuations perfides et les violences de toute nature occupent le premier
rang, a jeté un trouble profond dans toutes les classes de la société. [...] A bas les tyrans et les imposteurs !"
Chion-Ducollet, dans un tract. de dernière minute répond :
Cet ancien Maire, qui a fait perdre plus de 100 000 francs à la ville en 1883, se permet de rendre
compte de l'Administration des autres [...] Défiez vous des menteurs ! des faussaires ! du cléricalisme ! car
ils ont intérêt à vous tromper.
Les élections suivantes seront beaucoup plus calmes, l'opposition est bien désorganisée et souvent incapable de constituer une liste.
En 1995, le docteur Tagnard ne se représente pas aux élections cantonales, c'est Chion-Ducollet qui remporte
le siège de conseiller général qu'il gardera jusqu'en 1913.
Le docteur Tagnard décède le 6 mars 1909, il se crée un comité qui décide de lui élever un monument, pour cela
on lance une souscription. Une demande est faite à la municipalité pour participer à celle-ci. La réponse, consignée
dans le registre des délibérations à la date du 24 juin, est vraiment surprenante. La mort n'a pas tempéré la violente
opposition que l'on peut même qualifier de "haine". Nous retranscrivons
l'intégralité de cette déclaration, qui démolit "le médecin des pauvres". On apprend, ce qui ne sera pas repris
dans les biographies, que soigner les pauvres n'était pas un sacerdoce mais une fonction plutôt bien rétribuée :
"A ce prix, il pouvait être le médecin
des pauvres !". La suite est l'énumération des insuffisances et des mauvaises actions de l'homme politique.
Ce drôle d'éloge funèbre est bien sûr concocté par Chion-Ducollet qui en fait un texte officiel, approuvé par le conseil. Il n'a pas été apprécié par les Murois qui avaient de la considération pour le docteur même s'ils votaient pour le Maire.
On peut voir le monument sur la tombe du docteur Tagnard.