Chion-Ducollet et
   La Mure - 1880 à 1914
- Introduction
- Débuts en politique
- La conquête du pouvoir
- Maire de 1886 à 1912
- 25 ans de construction
- Les finances
- Mine et Municipalité
- CD et Dr Tagnard
- Maire et Curé
- CD et le Père Eymard
- Maire et Conseil
- Voyages à Paris
- Les procès
- Les autres mandats
- Fêtes
- Villa
- Après la défaite de 1912
- Conclusion
Annexes
- Déroulement de l'étude
- Idées reçues
- Industries en 1840
- Chansons et poèmes
- La Mure en 1900
- Armoiries de La Mure


Après la défaite aux élections de 1912


Joseph Besson envoie un télégramme à Chion-Ducollet :
Le "Petit Dauphinois" s'honorera grandement, dimanche prochain, en adressant à l'homme éminent qui, pendant 26 années, présida aux destinées de la cité muroise, l'hommage respectueux de reconnaissante gratitude de la part de tous les républicains, de tous les travailleurs, de tous les honnêtes gens.
Vous êtes de ceux, mon cher maire, que la défaite grandit. L'immonde coalition dont vous êtes la victime soulève la réprobation générale, et la victoire de vos misérables adversaires n'est qu'une flétrissure de plus à l'adresse du politicien sans scrupule comme sans talent qui déshonore, depuis bientôt deux ans, la représentation de l'Isère. Vous êtes déjà vengé par le soulèvement de la conscience universelle.
Veuillez agréer, mon cher Maire, l'hommage cordial et ému de mon affectueuse admiration.


Chion-Ducollet a dû recevoir beaucoup de témoignages de sympathie après cette défaite surprenante.
Cette étrange coalition a bien fonctionné, les électeurs ont joué le jeu et ont observé la consigne "oubliez donc toutes vos rancunes personnelles et votez sans défaillance pour la liste entière".

Mauvais perdant

Chion-Ducollet ne préside pas la séance de l'élection du nouveau maire. Il fait remettre une lettre au doyen d'âge, Henri Reynier, qui en donne lecture au début du conseil du 19 mai.

      La Mure, le 19 mai 1912, 9 heures du matin.
      Monsieur le Doyen du Conseil Municipal de la Mure,
J'ai l'honneur de vous faire connaître que je ne me rendrai pas à l'Hôtel de ville aujourd'hui pour l'élection su Maire.
L'installation du nouveau Conseil Municipal a eu lieu le 5 mai par la fait de la proclamation des résultats du scrutin.
Il vous appartient, Monsieur le Doyen, d'ouvrir la séance et de la présider pour l'élection du Maire.
La remise du service me fut faite, le 18 décembre 1886, par M. Combe Pierre, mon prédécesseur, en me donnant la clef du tiroir du bureau - secrétaire du Maire que je trouvai vide de tout document. M. Combe avait suivi la tradition et j'en fait de même, par l'intermédiaire du secrétaire de mairie. Je le charge en effet de vous remettre la présente et la clef du bureau secrétaire. J'ajoute que dans ce tiroir se trouvent les dossiers individuels du personnel municipal, établis et constitués en exécution d'une loi récente. Ces dossiers sont confidentiels.
J'ai dressé un inventaire sommaire des archives de la Mairie et du mobilier garnissant l'Hôtel de Ville. Cet inventaire est établi en double et signé par moi. L'un des exemplaires me reviendra après avoir été signé par mon successeur, dès qu'il aura procédé au récolement. Je juge utile de rappeler que lors de mon entrée à la mairie, il n'y eut pas d'inventaire. Les prédécesseurs de M. Combe n'en avaient pas laissé non plus. Mais cette formalité est rigoureusement prescrite par les instructions ministérielles et je m'y suis conformé. Ces documents sont au pouvoir du secrétaire de mairie qui procédera au récolement avec mon successeur et me fera parvenir le double qui doit me revenir.
Je vous serai obligé de transmettre la présente à mon successeur, dès son élection.
Veuillez agréer, Monsieur le Doyen, l'assurance de ma haute considération.
Le Maire de la Mure
Chion-Ducollet

Une bien médiocre sortie. Après 25 ans et un actif incontestable, au lieu de ressasser par deux fois 1886, il aurait pu se montrer grand seigneur et recevoir dignement le nouveau conseil dans "son" hôtel de ville, d'assurer l'élection du maire et lui souhaiter bonne chance.
Sa déception a été très forte, et il fait un procès en légitimité et capacité à son opposition alors qu'elle n'est plus la même qu'il y a 25 ans et qu'il est fort probable qu'elle suive la voie qu'il a tracée, tout retour en arrière est impossible. L'exposé qu'il a fait au dernier conseil est révélateur, à moins qu'il y ait un peu d'exagération politique pré-élections : " [...] Il n'est besoin d'être prophète pour prévoir, avant la fin du mandat municipal qui va s'ouvrir, - si nos adversaires réussissent dans leur entreprise, - des désordres, des ruines [...] l'inconscience peut conduire aux pires désastres moraux et matériels. Nous ne le souhaitons pas, loin de là, puisque, tous, nous sommes contribuables et foncièrement attachés à cette ville de La Mure à laquelle nous avons tout sacrifié : jeunesse, dévouement, travail, jusqu'à compromettre notre santé !
Il ne sera pas coopératif par la suite. Il reste président de plusieurs sociétés, associations et mutuelles et à travers elles il va essayer de compliquer la tâche du nouveau maire. Deux exemples : l'harmonie municipale et l'éclairage public.

L'Harmonie municipale
Chion-Ducollet avait réorganisé en 1889 la société musicale renommée "l'Echo de la Mateysine" à qui était associée, depuis 1900, une société mutualiste "société de retraites de la fanfare de La Mure". Une subvention municipale était accordée chaque année et Chion-Ducollet en tant que maire était président d'honneur.
Dès son échec aux élections de 1912, il se fait élire président de la société, la minorité n'est pas d'accord et démissionne, le chef donne sa démission, la municipalité retire le statut de société municipale, réclame le retour des instruments, retire la salle de répétition. On part dans des procédures que Chion-Ducollet perd, mais il persiste et va aux instances supérieures...
La situation ne redeviendra normale qu'après le décès de Chion-Ducollet en 1920. Voir le texte de la transaction, un peu redondant comme tout texte juridique mais qui redonne l'historique de cette sotte affaire et qui résume au détour d'une phrase la justification de cette longue procédure :"[attendu]que le Conseil Municipal actuel, de même que les membres des sociétés étant soucieux de voir régner la bonne harmonie entre Murois, il y a lieu de mettre fin à un pénible procès soulevé uniquement pour des questions de personnes."

L'éclairage public
Nous avons parlé la fourniture d'électricité dans Chion-Ducollet, dès sa défaite, prend en main la Société anonyme d'Eclairage électrique (voir les pages construction et finance) en tant qu'administrateur délégué. Il va chercher des noises à la nouvelle municipalité en jouant à la marge du contrat en cours :

[...] je viens vous proposer : 1° De procéder contradictoirement à un inventaire de toutes les lampes placées dans la Ville au service communal ; 2° Ce petit travail fait, de dresser vous-même un tableau des lampes que vous entendez conserver en service : les autres devant être supprimées par les soins de la société, si vous le jugez à propos, étant observé qu'aux termes de l'avenant de 1894, nous devons entretenir 200 lampes communales, moyennant le prix total de 4 800 francs, Collège compris. [...] Pour prendre la décision qui va s'imposer à votre Conseil municipal, nous vous fixons le délai d'un mois à partir du 1er août prochain, délai largement suffisant. [...]

Pas très élégant, il va s'en suivre un échange de lettres. En 1913, la mairie se tourne vers le Conseil de Préfecture, la guerre retarde les décisions, en 1917 on nomme des experts... Finalement, comme dans le cas précédent, le décès de Chion-Ducollet ramènera la sérénité et des rapports normaux entre fournisseurs et clients.

Pendant la guerre

Nous pouvons écrire ce paragraphe inédit grâce à la correspondance que Chion-Ducollet a entretenu, pendant la guerre, avec Auguste Chion qui fut son secrétaire de mairie, puis employé à la caisse d'épargne après 1912 et qui est mobilisé dans une usine d'armement à Lyon. Un grand remerciement à Mesdames Claudine et Marie-Claire Déchaux pour la communication de ce précieux témoignage qui nous permet de retrouver notre personnage toujours actif et combatif dans la cité et de l'imaginer dans l'intimité après son éviction de la mairie, ce que nous n'avons pas pu faire, par manque de documents, lorsqu'il exerçait ses fonctions politiques.
Alfred Chion-Ducollet et Auguste Chion sont cousins relativement éloignés puisque Il faut remonter à 3 générations du côté d'Alfred et à 4 du côté d'Auguste pour trouver leur ancêtre commun Antoine Chion né au Collet de Sinard en 1742.

Chion-Ducollet est toujours un personnage important à La Mure, nous l'avons vu, plus haut, président de l'harmonie et de la compagnie d'électricité, il est président de la caisse d'épargne et pendant la guerre, du fait de la mobilisation des titulaires il devient le responsable et juge suppléant de la Justice de paix. "En remplissant cette fonction je contribue pour ma part à la défense nationale, puisque je rends disponible un fonctionnaire de plus pour l'armée. C'est en effet une satisfaction pour moi. D'autre part mes ennemis sont navrés de voir en mes mains le pouvoir judiciaire, ce qui ne me déplait pas non plus." (nov. 14)
C'est une charge qui occupe : "Le service de la justice de paix est bien moins chargé qu'en avril et mai dernier. Il y a à faire chaque jour, puis les audiences peu chargées." (nov. 14) "Je ne me surmène pas, mais je suis assez occupé surtout pour réunir les plaideurs et les autres clients de la J. de P." (dec. 14)
Il exerce cette fonction de façon bénévole ce qu'il regrette. "Toujours rien pour la rétribution du Juge de paix intérimaire ! ma présence sur le siège doit fatiguer les gens du bloc et les cléricaux. Si Perrier n'a pas pu me dévisser il a tout au moins réussi à me couper les vivres. Je n'en continuerai pas moins à assurer le service." (sept. 15)

Après sa maladie qui l'avait tenu loin de l'Assemblée Nationale et de l'Hôtel de ville pendant plusieurs mois, il n'a pas retrouvé une bonne santé. "Je n'avais jamais eu des crises aussi aigües de rhumatisme dans le côté droit. En décembre, plus de 15 jours ; et voilà qu'en février je suis à nouveau pris ! mais il n'y a rien à faire, si non de souffrir avec patience et résignation. Je suis tenté d'accuser ce ces souffrances mon traitement thermal de 1914 ! " (fev. 15) Ce qui ne l'empêche pas de refaire une cure : "Je suis à La Motte depuis samedi dernier. Les eaux ne me font rien, mais pour le principe, il faut faire une saison ! je la fais dans toutes les règles." (août 15)
"Malgré ma pénible situation de santé je ne me plains pas ; d'autres sont plus fracassés que moi, sans l'avoir mérité, alors que votre serviteur a par trop abusé du travail et a bien cherché le mal dont il est affligé ! Il faut savoir être philosophe, alors que j'ai été rude administrateur ; la Raison doit dominer en tout et partout." (janv. 17)

Chion-Ducollet est resté célibataire, ses adversaires qui devaient pourtant être à l'affut ne lui ont pas trouvé de relations sentimentales ce qui à même étonné l'abbé Morel !
Il ne parle pas de sa demi-soeur Louise, son ainée de 14 ans, avec laquelle il a très peu vécu puisqu'il avait deux ans lors de son mariage. Il a 5 neveux et nièces dont deux sont prêtres et une religieuse. Le dernier Joseph Boël, docteur en médecine à Allevard sera conseiller général en 1919. Quelles sont leurs relations ?
Il est par contre très attaché a son frère de deux ans son cadet et à ses sept neveux et nièces, certaines de ces dernières vivent dans la villa, s'occupent et soignent Chion-Ducollet : " Pour le moment je ne me plains pas des soins qui me sont prodigués par mes nièces toutes très dévouées, coeur et âme à leur oncle." (jan. 17)
Il marque de l'intérêt pour la nouvelle génération, il ne manque pas de demander des nouvelles d'Odette, la fille d'Auguste, née en 1915 : " Je suis enchanté de savoir aussi que votre fillette va bien maintenant. Nous avons celle de Léon à la maison ; elle nous fait endéver ; pas une minute en paix. Elle est robuste et nous paraît intelligente, même déjà rusée." (mars 16)
"La veuve de Léon et sa petite Fernande sont venues passer les fêtes de Noël et du jour de l'an à La Mure. Fernande est fort gentille et déjà raisonnable : elle sait bien se faire aimer et même gâter." (janv. 17)

Il s'intéresse de près à la guerre, il lit les journaux et en parle dans chaque lettre, avec un moral très fluctuant d'une lettre à l'autre :
"Les évènements semblent prendre bonne tournure tant en Belgique qu'en Pologne. Les espoirs sont grands et je crois, bien fondés." (nov. 14) "Mais il ne faut pas compter sur une paix prochaine, ce serait vraiment s'abuser ! La guerre sera longue et très meurtrière ; il faut s'armer de patience et avoir confiance dans le Gouvernement et dans les Généraux qui commandent à nos soldats." (dec. 14)
"Je crois fermement que la guerre prendra fin en 1915, mais que de terribles moments il nous reste à traverser pour arriver jusqu'au bout !" (fev. 15)
"L'énorme production d'obus et autres engins de mort et de dévastation que vous me signalez n'est pas un signe de fin de guerre, au contraire ! La campagne d'hiver ne fait plus de doute. Pauvres "Poilus" dans les tranchées ! Je conserve une grande confiance dans l'issue finale, quand même, car les Anglais ne lâchent pas pied facilement." (sep. 15)

Deux neveux, Léon et Martial sont au front, il reçoit régulièrement des nouvelles et parle d'eux presque dans chaque lettre mais en octobre 1915 il reçoit une mauvaise nouvelle :
"J'ai la douleur de vous faire part du décès de Léon, tué à l'ennemi le 28 septembre et inhumé le 29. [...] Quel malheur pour notre famille et pour moi en particulier ! Cette mort vient empoisonner mes vieux jours !"
"Ma vieillesse est désormais empoisonnée par la mort de Léon, mort glorieuse il est vrai, mais enfin c'est le vide, le néant pour moi." (dec. 16)
"La fin de la guerre a réjoui beaucoup de personnes. Chez nous, il y a eu et il y a satisfaction très grande, mais la joie ? non, car Léon ne rentrera pas !! et vous savez quelle tristesse sa mort nous a apportée. Voir rentrer ses camarades constitue un renouvellement de douleur. Aussi pas de drapeau à la maison, et de larmes ont coulé en pensant à Léon !" (30 nov. 18)

Chion-Ducollet a toujours revendiqué ses origines paysannes, face à Jaurès, à l'Assemblée Nationale, il s'était dit cultivateur, il aime à retourner à Sinard dans la maison paternelle et à s'y rendre utile :
" Le beau temps de septembre nous a décidés de venir passer une semaine à la maison paternelle. Je sais d'autre part que ma venue au Collet fait grand plaisir à Léon. Il y a du bétail à vendre, des récoltes, des denrées, il aime à ce que je donne mes avis.
Le 22 nous sommes allés à la foire de Monestier où nous avons conduit deux jeunes boeufs, non vendus. La foire de Saint Mathieu, réputée la plus forte de l'année, était piètre cette année. Peu de bovins, des montons et brebis à peine. Mais il y avait du populo en assez grand nombre.
Nous avons laissé la Villa à la garde d'Emile Brachon, pour la nuit, et le jour à Arthaud pour donner à manger aux lapins.
" (sept. 1915)

La fin d'une histoire

Chion-Ducollet décède le 6 février 1920 à La Mure, il a 71 ans.
Il avait écrit dans son testament, daté de 1913 "Je mourrai comme j'ai vécu, en penseur libre. Ma religion m'a suffi de mon vivant, et elle me suffira après ma mort. De mon vivant les Prêtres m'ont trop fait souffrir, pour qu'après ma mort je permette qu'ils viennent chanter près de mon cercueil".
Les républicains du canton lui ont fait de belles funérailles : en tête du cortège, les élèves de l'école de filles, de l'école de garçons, du collège. La fanfare de "l'Echo de la Mateysine" qui joue des marches funèbres. Le char funèbre avec les couronnes offertes par les administrations et associations. Une foule importante suit avec de nombreuses personnalité. Le cortège traverse toute La Mure jusqu'à la gare où Jules Roux, qui fut son adjoint de nombreuses années, fait un discours retraçant sa vie et son action comme maire, conseiller général et député. M. Giraud, vice-président de la fanfare (Chion-Ducollet en était le président) fait a son tour un discours évoquant la création de la caisse de retraite en 1900.
Le cortège se disloque et le char funèbre se rend à Sinard, où la municipalité, la société de secours mutuel et différentes associations l'accompagnent au cimetière.

Le Petit Dauphinois publie le lundi 9 un long article sur les obsèques

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