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Signaraux
Trois siècles de procès depuis 1362 entre le mandement de LA MURE et celui de La MOTTE D'AVEILLANS,
pour y mettre fin Monseigneur LE CAMUS, évêque de Grenoble, fait planter 4 bornes en 1672.
Pages 197 à 200 de La Mure et son Mandement, 1902
(Dans le livre en un seul paragraphe, transcrit ici allégé des termes latins et aéré pour la facilité de la lecture.)
L'année 1362 vit commencer un de ces procès, dont la justice de l'ancien régime semble avoir eu le monopole. Le territoire de La Mure est séparé, au midi, par des limites naturelles très précises, des mandements voisins de Beaumont (la Bonne), de Cornillon en Trièves et de Clermont (le Drac). Il n'en est pas de même à l'ouest et au nord. De là des difficultés. La querelle s'envenima d'autant plus facilement avec les gens de La Motte que cette terre n'était pas mandement delphinal, mais terre patrimoniale de bannerets, les Aynard d'abord, puis les Morges.
En 1362, nous trouvons en présence, d'une part, Empereur, Fabry, Roy pour La Mure, et de l'autre, Guigues de Morges, seigneur de La Motte-Saint-Martin. La série des pièces commence par une supplique de ce dernier. « Des bergers de La Mure ont mené paître des troupeaux de boufs et de moutons sur son territoire, sans y avoir aucun droit de paquérage ; ils ont même fait des dégâts considérables dans les terres ensemencées. Mieux que cela, ils sont venus pendant la nuit saisir des chèvres et des moutons, qu'ils ont emmenés. Le suppliant demande justice. Son bannier a du reste, par mesure de représailles, saisi, comme gage, des génisses et des brebis, qu'il est prêt à rendre contre caution déposée à la cour de La Motte. »
Le châtelain de La Mure fit comparaître devant lui les prévenus : Empereur, Moizan, Guinier, Pellat, domestique de Jean Darier dit Porchet, et Guigues de Morges. Le résultat de l'enquête fut consigné en douze articles, dont voici les principaux :
1° Le Dauphin est seul seigneur du mandement de La Mure, et c'est à lui, à sa cour dudit lieu qu'appartient toute juridiction haute et basse avec la connaissance de tous les cas « infra mandamentum » ;
2° La paroisse et le mandement s'étendent jusqu'au chemin du mas de Tréfort ;
3° Toutes les personnes demeurant dans la paroisse de La Mure jusqu'audit lieu de Tréfort y ont droit de paquérage et de bûcherage, et les délits relèvent de la cour de La Mure ;
4° On a fait proclamer une amende de 100 marcs d'argent contre quiconque enfreindrait cette juridiction ;
5° Un homme de La Mure gardait ses vaches sur le Sénèpe lorsque sur l'ordre du châtelain de La Motte vingt bêtes furent saisies et emmenées, comme ferait un brigand, et la juridiction usurpée sur ce cas malgré l'amende de 100 marcs ;
6° Des hommes de La Motte ont labouré et cultivé près de 16 setérées de terre delphinale sans permission de la cour ; ils y ont semé des blés hivernaux et tresmois ;
7° Guigues de Morges s'est attribué ces terres au détriment du Dauphin..., et l'information continue ainsi pendant plusieurs pages.
Mais ce n'était là qu'une première escarmouche. Après une nouvelle procédure en 1522, le procès proprement dit commença en pleine période des guerres de religion. Dès lors les liasses de documents se succèdent sans interruption jusqu'en 1633. Il durait encore à la fin du XVIIe siècle. En 1668, tous les blés, sur la montagne, furent saisis comme semés sur le mandement. La communauté fut même obligée de contracter un emprunt en 1670, pour payer les frais de cette procédure interminable.
Enfin, en 1672, eut lieu une dernière expertise, et il ne fallut rien moins que l'intervention du cardinal Le Camus, « évêque et prince de Grenoble », pour terminer le différend. A la suite d'une transaction, quatre bornes furent placées au-dessus de « Fontaine froide » et de «Brame-Farine», par les arbitres choisis de part et d'autre, pour marquer définitivement les limites.
Le cardinal se rendit plusieurs fois sur les lieux pour « visiter les endroits contentieux » avec les avocats Pierre de Durand et Antonin Bernier ; le 22 octobre 1672 il « prit la peine de se transporter de nouveau en personne sur ladite montagne et de marquer l'endroit précis ; où seraient plantées les quatre bornes, attendu qu'on ne pouvait trouver ; sur place des pierres propres pour servir de limites ». Elles furent posées, le 24 octobre, par Pierre Auvergne, charpentier, de La Mure, et Étienne Reynier, tisserand, de La Motte, en présence de Bertrand Barbe, notaire à La Motte-Saint-Martin, et de Jean Marrye, notaire à Pierre-Châtel. On les a parfaitement retrouvées de nos jours. « On voit encore sur le haut... de Brame-Farine une grande borne... plantée par le cardinal en personne, pour servir de limite entre les pâturages, que plusieurs communes se disputaient depuis bien des années. Ces contestations amenaient chaque automne des rixes entre les bergers ; plusieurs procès étaient engagés ; l'intervention de l'évêque avait eu pour résultat, dit-on, de pacifier ces querelles héréditaires. »
Hormis la borne 1 que l'on a vu au lieu-dit le Vernay, au-dessus de l'Arboretum, sur la limite entre La Motte d'Aveillans et Susville, les autres sont sorties de la mémoire locale.
La limite entre les mandements de La Mure et de la Motte est longue et depuis cette époque la forêt a envahi de nombreuses parties.
En interrogeant les utilisateurs de Senépi qui connaissent bien leur domaine, on se rend compte que notre histoire leur est inconnue et qu'il n'ont aucune idée de la présence de ces bornes. Mgr Camus a probablement voulu régler un problème local et non toute la limite, ce qui aurait demandé beaucoup plus de bornes.
La réponse à cette question peut être apportée par le compte-rendu du secrétaire de Mgr Le Camus le 21 octobre 1672 :
Il précisa à tous et à chacun qu'ils étaient là pour faire l'explication de la transaction du jour d'hier [...] entre les habitants de La Motte et ceux de La Mure et son mandement [...] pour faire exécuter les droits portés par la dite transaction, pour la séparation de la partie supérieure de la montagne dont est question. Lorsque le moment de se séparer arriva, ils avaient visité et fait visiter les endroits où les dites limites doivent être plantées [...] Et pour plus d'évidence et certitude, il avait, de l'avis des Sieurs arbitres, trouvé à propos de faire mettre quatre limites depuis le chemin passant dessus la Fontaine Froide, proche du Jas de La Mure jusqu'à la sommité de la dite montagne, laquelle sommité fait la séparation du mandement de La Mure et de La Motte [...] attendu qu'on ne peut trouver des pierres propres pour servir de limite [...] avait voulu les faire planter [...] il a fait creuser les endroits auxquels elles doivent être plantées et a fait préparer les pierres nécessaires pour cet effet. Savoir la première à deux toises au-dessous dudit chemin et à neuf toises au-delà de ladite fontaine tirant depuis l'endroit dudit chemin qui est au-dessus d'icelle de Brame Farine, laquelle limite sera fermée par ledit chemin qui est au-dessus d'icelle d'un côté et du côté de la sommité supérieure, en droite ligne elle visera à la seconde limite, à l'endroit de laquelle mondit Seigneur a fait marquer sur une petite élévation, au-dessus dudit chemin environ à cent pas [...] laquelle seconde limite aura deux aspects, l'une visera en bas à la dite première limite et l'autre en haut, en droite ligne, vers une petite roche escarpée, à côté de la sommité duquel mondit Seigneur a fait creuser dans la roche avec la pointe d'un marteau la figure d'une Croix et à quelques pas dudit rocher [...] au-dessus, il y a fait marquer l'endroit où la troisième limite doit être plantée. Laquelle aura de même deux aspects, l'un visera en bas vers la seconde limite et l'autre en haut se dirigera en ligne droite jusqu'à la sommité supérieure qui sépare lesdits mandements [...] de laquelle il a fait creuser l'endroit de la quatrième limite.
Pas complètement clair ! mais on peut probablement répondre à notre question :
- la borne que l'on connaît est la borne 1, le chemin est donc toujours à la même place ( ? les 9 toises de la fontaine ).
- la borne 2 doit être à 100 pas au-dessus du chemin dans la direction de la « sommité » dénommée aujourd'hui Pierre Plantée.
- la borne 4 est au sommet et en-dessous la borne 3 près d'une roche gravée d'une croix.
Dans le cadre de l'enquête sur les bornes, Jean-Luc Troussier a convié un petit groupe à l'accompagner sur le terrain pour trouver ces bornes. : Michel Peyrin, André Maccagnan, Marcel Gaude, moi-même.
Il faut partir de la borne 1 et aller au sommet de Pierre Plantée par le chemin le plus court. Une grande différence par rapport à 1672, la végétation, il n'est plus question de voir un lieu de pose d'un autre.
Ce que l'on peut dire aujourd'hui, les relevés GPS sont faits avec Garmin for runner 310XT :
dimensions 25 x 20 x 100 cm
nature : calcaire de Laffrey
Elle a été bousculée et un peu détériorée par un tracteur
repérage GPS :
44° 55' 58,1'' N
5° 44' 43,2'' E
1435 m
Malgré des visites complémentaires nous n'avons pas retrouvé cette borne bien que son lieu probable soit bien délimité.
les photos ci-contre la montre en gros plan et sa situation par rapport au sommet où est plantée la borne 4.
Elle est située près de la pente.
dimensions : 10 x 10 x 15 cm
nature : calcaire de Laffrey
repérage GPS :
44° 55' 48,0'' N
5° 44' 41,2'' E
1550 m
Nous n'avons pas trouvé la croix gravée sur un rocher proche.
Elle est au sommet de Pierre Plantée à quelques mètres au sud de la borne géodésique en granite marquée 1951.
Elle a une grosse encoche orientée E-W.
Elle est également en calcaire de Laffrey et a comme dimensions 20 x 25 x 20 cm.
repérage GPS :
44° 55' 45,8'' N
5° 44' 41,4'' E
1562 m, la carte IGN donne 1559 m et Google earth 1537 m.
Ci-dessous, les bornes positionnées sur une photo Google avec les cotes GPS ci-dessus. Cette partie de la limite entre les deux mandements est aujourd'hui la limite entre les deux communes de La Motte d'Aveillans et de Susville.
Distance borne 1 / borne 3 = 314 m (google)
Distance borne 3 / borne 4 = 66 m
En réalité la borne 1 est légèrement plus haut et un peu plus à gauche.
Ci-dessous, les bornes positionnées sur une carte IGN avec les cotes GPS ci-dessus.
Pour ceux qui veulent en savoir plus :
Michel PEYRIN, Le cardinal Le Camus en Matheysine, Mémoire d'Obiou N°15, 2010.