L'ancienne carrière, aujourd'hui
Le lieu de cette ancienne carrière où l'on a sorti quelques belles pièces et du matériau pour les
constructions locales se trouve à la sortie du village (côté Corps). Il faut prendre le chemin qui
monte à gauche dans le virage et l'on aperçoit, dans la pente, le site qui fut exploité dans les années 1800.
Attention : il n'est pas recommandé de pénétrer à l'intérieur de
l'exploitation, le chemin a été supprimé et l'ensemble n'est qu'un tas de cailloux, avec de la végétation,
peu agréable à parcourir.
A-t-on utilisé du marbre de Sainte-Luce pour le mausolée de Lesdiguières ?
Ce mausolée a été construit dans la chapelle du château de Lesdiguières, de son vivant, en 1610.
Les deux matériaux utilisés font contraste : du marbre noir et les sculptures en roche blanche.
J. Debelmas dans un article "Les anciennes carrières de Grenoble" :
Le marbre de Sainte Luce a été employé pour le tombeau de Napoléon Ier aux Invalides ou pour le mausolée de Lesdiguières. Le "ou" est curieux et introduit un doute et d'autre part nous verrons que parler du tombeau de Napoléon est inexact.
Le site Mémoire du Champsaur :
Le marbre noir du piédestal et du tombeau, viendrait de Corps - Ste Luce ( peut-être de La Fare ). Le conditionnel et le "peut-être" nous laissent dans le doute.
Le site
Musée de Gap ne dit rien de la provenance du marbre noir et est inexact en ce qui concerne le marbre blanc, ce n'est pas du marbre de Carrare, ni même du marbre mais de l'albâtre comme l'affirme Robert Aillaud : en 2015 le laboratoire des monuments historiques de Champ sur Marne est venu en ma présence faire un prélèvement le résultat est sans appel : Albâtre de Notre Dame de Mésage
.
Cette conclusion est forcément connue du personnel du musée de Gap. Je n'ai pas de réponse à mon mail et à celui de relance demandant des précisions sur le marbre noir.
Archives de l'Isère :
Après une délibération du conseil municipal du 14 mars 1840, le maire de Sainte-Luce envoie une lettre au préfet, le 6 mai :
"Il existe dans cette commune une carrière de pierre calcaire de laquelle on extrait des blocs qu'on
taille pour la construction de portes et de fenêtres de maison. Le conseil municipal a reconnu qu'il
aurait lieu d'affermer cette carrière et le prix de ferme quel qu'il soit ferait toujours un revenu
au profit de la commune. C'est pour passer un bail de 9 ans que je vous réclame votre autorisation
si vous le jugez à propos..."
Remarque : le maire ne revendique pas un passé faste de la carrière comme fournisseur de Lesdiguières ! Ce qu'il n'aurait pas manqué de faire si l'on répond oui à la question préalable au paragraphe.
Mausolée de Lesdiguières, à l'origine dans la chapelle du château, aujourd'hui au musée de Gap.
Sculptures en albâtre de Notre-Dame de Mésage.
Marbre noir ou différents marbres noirs : Sainte-Luce ou d'une des nombreuses petites carrières locales (Les Ravioles à Corps, La Fare ...) exploitant, surtout pour la construction, le niveau de calcaire lotharingien (bien plissé et faillé) très présent dans le Beaumont et le Champsaur.
La carrière est louée 170 Francs à M. Martin puis en 1869 à MM. Astréoud et Escalle qui ont une marbrerie
à La Mure. Le bail est prolongé de 15 ans en 1880.
En 1894 la carrière est abandonnée par M. Escalle qui renonce à ses droits car il ne trouve plus de
bancs valables à exploiter.
M. Charrat industriel à La Mure loue la carrière avec possibilité d'interrompre le bail au bout d'un
an s'il ne trouve pas de banc utilisable et avec possibilité d'explorer les autres lieux de la commune.
Probablement sans succès ?
Marcel Reymond dans "Enigmes, curiosités, singularités":
En novembre 1847, les grenoblois voient avec curiosité sur la place Grenette un énorme bloc de marbre
de dix tonnes qui fait partie de la fourniture de marbres noirs commandés pour le socle du tombeau
de Napoléon aux Invalides et que l'on achemine sur Paris. Il provient des carrières de Sainte-Luce
exploitées sous la direction de M. Perroncel, gérant d'une manufacture créée à La Mure en 1840 et
occupant 30 ouvriers. Géologues et marbriers de la capitale affirment que ce marbre est comparable
aux plus beaux marbres du nord de la France et de la Belgique pour sa compacité, la netteté de sa
coloration, la rareté des veines et a finesse du grain qui se prête au plus beau poli. Les carrières
de Sainte-Luce peuvent fournir des longueurs de coupes et tranches permettant d'y puiser des blocs de
dimensions colossales.
Malheureusement les difficultés d'accès, les obstacles nombreux en feront bientôt abandonner
l'exploitation. Le bloc en route pour Paris n'a pu franchir les 3 kilomètres séparant la carrière de
la route nationale 85 Grenoble-Gap qu'au terme de douze jours consécutifs de travaux pénibles et
dangereux pour faire avancer un attelage de 24 chevaux. On a longtemps pu voir à La Mure, à Païon, la
voiture à roues très larges qui avait servi au transport de cet énorme bloc.
C'est dans ce socle de l'autel de la chapelle des Invalides que l'on doit retrouver le bloc venu de Sainte-Luce.
Un article récent du Dauphiné Libéré :
La carrière de Sainte-Luce était autrefois exploitée par la marbrerie de Bon Repos de La Mure, sous la
direction de Monsieur Perroncel.
La Légende veut que le marbre noir extrait de Sainte-Luce et poli à La Mure, fut choisi pour la
construction du tombeau de Napoléon aux Invalides. En fait la carrière a fourni le bloc de l'autel
du tombeau. Un bloc de 5,5 mètres de long, 1,20 m de large et de 0,65 mètre d'épaisseur, pesant
dix tonnes, dont le transport jusqu'à La Mure, se fit au terme de plusieurs jours de travaux pénibles
et dangereux, avec un attelage de 24 chevaux.
Sur le plan local, on retrouve le marbre sur les colonnes de l'église de Corps et sur les moulures
des anciennes maisons bourgeoises de la région. Dans les années 1850, un bloc de marbre noir de Sainte-Luce
coûte 250 francs à La Mure et est revendu 500 francs à Paris. C'est à cette époque que Monsieur Astréoud
remplace Monsieur Perroncel à la tête de la marbrerie de La Mure, l'une des plus importantes de France.
Progressivement, l'exploitation va diminuer en raison de difficultés d'exploitation et de transport, pour
s'arrêter définitivement à la fin du 19e siècle. Elle a fourni aux habitants de Sainte-Luce du
travail pendant plus d'une cinquantaine d'années.
Actuellement, le lieu a été consolidé et sauvegardé par Monsieur Grand, adjoint de la commune, mais
l'accès est strictement interdit au public pour des raisons de sécurité.
Photo prise dans "Mémoire d'Obiou" P. Barnola, La vie économique en Matheysine en 1838
(date de la photo, probablement après 1860).
On trouve dans l'église de Corps 6 belles colonnes de marbre noir de Sainte Luce. Ci-dessus 2 grandes
colonnes dans le choeur.
Ci-contre une des deux chapelles latérales symétriques avec deux colonnes moins imposantes.
C'est du "marbre" pour le carrier, mais du calcaire pour le géologue, un calcaire du Lias : Lotharingien
(stratigraphie) qui ne jouit pas d'une grande réputation pour ses
qualités ornementales. Il a été utilisé pour la fabrication de ciment naturel car possédant la quantité
d'argile nécessaire (20 %) et pour la construction à la proximité des carrières (Villard-Saint-Christophe,
Siévoz et Pont du Prêtre, Monteynard, La Salette).
Les strates sont d'épaisseur métrique, à patine rousse et riches en pyrite, elles ont été maltraitées
(plissées, faillées) au
cours du temps notamment par l'orogenèse alpine. On ne peut qu'être admiratifs devant ces anciens carriers
qui ont su choisir des parties sans défauts et en tirer ces belles colonnes de plusieurs mètres.
Avec quelles difficultés et quels rendements ?
Sur la photo de gauche le pendage de ces strates épaisses et ci-dessus un détail.
Comme on peut le voir sur la page de geol-alp citée en référence, le Lias est prépondérant dans le Beaumont. Du fait des failles et des plissements on retrouve en de nombreux endroits ces couches de Lotharingien en position plus ou moins pentée.
Photo de gauche : blocs abandonnés en cours de façonnage.
Au centre, une strate non homogène inexploitable.
Ci-dessus, un gros plan d'un bloc avec fractures recristallisées .
Ce calcaire lotharingien, à patine caractéristique, a été très employé pour la
construction. Ici l'exemple de l'église de Sainte Luce, où toutes les parties
apparentes (pierres d'angles, encadrement des ouvertures) sont faites avec cette pierre locale.
Pour ceux qui veulent en savoir plus :
- Page Beaumont occidental, La Sciau, Le Chauvet
du site geol-alp.
- 2 documents aux Archives de l'Isère : lettre au
préfet et
Rapport de l'ingénieur des mines en 1894.