"Sur la rive gauche, très haut sur le flanc des montagnes boisées, un long ruban fauve entoure capricieusement
tous les plis du rocher, tous les promontoires, s'aligne en corniche sur les parties rectilignes
et, plus loin, festonne la forêt. C'est le canal de Beaumont, il apporte dans le ravissant
pays de ce nom les eaux du torrent de Béranger, venues d'une des cimes du Pelvoux.
Ce canal est l'oeuvre la plus remarquable des Alpes ; presque partout il a dû être
entaillé dans le rocher. "
Victor-Eugène Ardouin-Dumazet, Voyage en France, tome 10, 1897.
Dans les années 1850 les habitants du Beaumont se sentent abandonnés, certes la route
Grenoble - Gap traverse le territoire mais la liaison de chemin de fer par le col de la Croix
Haute a détourné le trafic. De plus le sol est aride et les précipitations rares, il devient
nécessaire de posséder des eaux d'irrigation.
La première idée est de prolonger le canal qui vient des Hautes-Alpes jusqu'à proximité de Corps,
du fait du nombre de gorges profondes, la longueur serait de 50 km ce qui coûterait
900 000 francs, c qui est jugé trop cher compte tenu de la surface arrosée.
En 1864 des études montrent que la possibilité d'arroser le Beaumont à partir des eaux de
la Bonne est viable, la tradition attribue cette idée aux moines qui auraient eu ce projet
au moyen-âge. Ce projet coûterait 550 000 francs subventionnés au tiers
et pourrait arroser 1000 hectares. Une association
syndicale est créée et on invite les intéressés à souscrire des engagements qui seront valables
lorsque la souscription aura atteint 500 hectares. Les cultivateurs sont pauvres mais désireux
d'obtenir les bienfaits de l'irrigation, en quelques jours on obtint des engagements pour
450 hectares en majorité dans le Beaumont, pour compléter le chiffre il faudra deux ans.
Après des difficultés administratives et d'obtention de prêt, on peut mettre les travaux en
adjudication le 2 avril 1870 à un dénommé Borrione. Une bonne nouvelle la subvention atteint les
deux tiers comme accordé au canal des Hautes-Alpes.
Les travaux démarrent rapidement et efficacement, mais le 19 juillet c'est la guerre qui sera
suivie de la guerre civile, l'argent prévu n'arrive pas. En 1871 le syndicat émet des obligations
mais les prévisions de coût initiales sont dépassées dans de grandes proportions ce qui augmente
le nombre d'obligations.
Le Beaumont commence à être arrosé de manière incomplète en 1875 et régulièrement en 1876. Le coût total
atteindra 1 083 000 francs plus quelques frais, pratiquement le double de l'estimation de départ.
Le canal n'est utile que quelques mois de belle saison et n'utilise pas la totalité du potentiel en eau, aussi
une société de production d'électricité "Fure et Morge et de Vizille" a construit en 1910 une centrale
électrique à Malbuisson alimentée par l'eau du canal par une conduite forcée de 302 m de chute. Le relai
a été pris par l'EDF. En été on partage les eaux et en hiver elle sont utilisées pour la production
d'électricité. Ceci a constitué un grand bénéfice pour le syndicat des eaux, l'entretien du canal étant
assuré par l'EDF.
Carte géologique de la partie la plus critique du parcours (points bleus).
La plus grande partie du parcours se trouve sur un terrain sans difficulté à creuser mais en forte pente,
nous sommes dans le calcaire du Lias, les alluvions et éboulis ; mais une partie dans le coude
au-dessus d'Entraigues est escarpée et
constituée de roches dures comme le montre la carte géologique ci-dessus :
- dans l'extrémité de l'arrête
Taillefer-Armet-Entraigues avec les schistes noirs
et les conglomérats métamorphiques (vus dans
le vallon de l'Espalier) en marron sur la carte.
- ensuite le canal traverse un curieux petit massif granitique (granite d'Entraigues en rouge).
- a noter qu'il traverse à deux reprises le houiller qui a été exploité.
En 1876, après la construction, Le directeur du syndicat, dans sa demande au ministre pour boucler
le financement, revient sur le projet :
Lorsqu'il apprit que le canal devait traverser à Entraigues une longueur de deux kilomètres de rochers inaccessibles, il fut étonné de la hardiesse de ce tracé et des dépenses qu'il devait entraîner. On lui expliqua que les parties les plus escarpées de ces rochers seraient franchis en tunnels et en encorbellements du prix de 50 F le mètre courant et que leur traversée entière coûterait 86 000 F seulement. Il n'avait pas compétence pour contredire ces chiffres ; mais s'il avait pu prévoir que les tunnels et encorbellements coûteraient 180 F le mètre et la section entière près de 300 000 F, il aurait insisté pour que la prise d'eau fût établie à un niveau assez élevé pour éviter un obstacle aussi formidable en passant au-dessus de lui. Si le déplacement de la prise avait été impossible (il est convaincu du contraire), il aurait renoncé à l'entreprise , comme il avait déjà renoncé à arroser le Beaumont par les eaux de la Séveraisse.
Contrairement à de nombreux canaux de l'époque qui sont aujourd'hui désaffectés celui-ci arrose encore le Beaumont. Il appartient toujours au même syndicat mais il est entretenu par l'EDF qui utilise une partie des eaux dans la chute de Malbuisson. Il est très bien entretenu, le sentier est devenu dans de grandes parties un chemin large permettant l'accès des véhicules d'entretien. Il est probablement plus joli qu'à l'époque et l'on peut se féliciter que le projet d'un moment qui prévoyait de le recouvrir ait été abandonné pour des questions financières. C'était pour des questions de sécurité, un peu pour les humains mais surtout pour éviter la noyade des bêtes sauvages, ce qui était relativement courant.
Un environnement agréable et relaxant, on regarde courir l'eau claire. Dans cette partie, au début de
son parcours son léger murmure est couvert par le bruit de la Bonne qui coule beaucoup plus bas.
Les ouvrages d'art miniatures sont faits avec soin avec les matériaux pris sur place.
Le canal au départ après la prise d'eau dans la Bonne.
Une vanne
Une entrée de mine de charbon, le canal est recouvert.
le bâtiment pour la descente du charbon en face de l'entrée.
Un glissement s'est produit en 1985 emportant une partie du canal, il a
été réparé imparfaitement avec un canal en mélèze puis de façon plus importante
en 1997.
(photo à droite)Juste après cette partie refaite le canal rentre en tunnel dans la zone la plus escarpée au-dessus
d'Entraigues.
Pour ceux qui veulent en savoir plus :
La source de cette page : Mémoire présenté à Monsieur le Ministre des Travaux publics par le
directeur du Syndicat du canal du Beaumont tendant à obtenir une augmentation de la subvention
accordée par l'Etat, 1876, 35 pages.
- la page
Valbonnais, Roussillon, Saint-Laurent en Beaumont - cours inférieur de la vallée de la Bonne, en aval d'Entraigues
du site geol-alp.
- Pierre Barnola, Le canal du Beaumont, dans Mémoire d'Obiou, N°11, pp.92-100.